7/07/2014

Adieu à la Sirène

La Sirène - Antigua Classic Yacht Regatta - © Tim Wright

Les Voiles de St Barth 2011 à bord de la Sirène


C'est sans doutes le plus vieux bateau de l'île qui s'en est allé par le fond dans la nuit du 28 juin. Un bateau, cela a une âme, me dit Jean-Louis, amateur de beaux gréements à l'initiative de cet article. Alors écrivons son histoire avant qu'il ne sombre encore, mais dans l'oubli cette fois. C'est en 1933 que la Sirène voit le jour sur un chantier naval bordelais. A la demande de son commanditaire, Mr Greloud, les frères Salmoiraghi, charpentiers de marines, construisent ce voilier de 8 mètres à l'ossature en chêne d'après une réduction des plans du Friendship Sloop dessinée par l'architecte naval Ralph Winslow. Ce type de bateau était alors utilisé dans le Maine (USA) pour la pêche à la langouste et la promenade. D'après Mr Greloud, ce voilier est "imbattable dans les régates au "Handicap National", la jauge de l'époque en France". La Sirène est vendue en 1937, puis revendue un an plus tard. La guerre arrive, et le bateau délaissé se détériore. En 1950, il séduit un amateur Bordelais, Mr Blanchy, qui l'acquière, le ramène à son port d'origine et le rénove entièrement. A sa mort, le bateau est vendu en Méditerranée. Nous perdons alors sa trace pendant 20 ans, et le retrouvons en 1970 dans le port de Sète, puis à Bordeaux, puis en Bretagne. En 1996, il traverse l'Atlantique, portant à son bord un capitaine originaire des îles Canaries et sa famille. Arrivés à St Barthélemy, ils souhaitent s'en séparer pour en acquérir un plus spacieux. David Pertel, jeune charpentier sur l'île depuis tout juste un an, tombe amoureux de la Sirène et se porte acquéreur. S'en suit une année de rénovations : le bateau est sorti à terre, David y travaille sans relâche, dans le respect des matériaux d'origine et des techniques à l'ancienne. Et vogue la Sirène… Au gré des saisons cycloniques, elle emmènera David, selon les années, à Trinidad, au Venezuela… Navigations entrecoupées de fréquentes sorties à terre, pour tout l'entretien que demande une vielle dame des mers en bois. David et sa Sirène ont participé à la première édition des Voiles de St Barth en 2011, dans la catégorie Classique. La même année, ils emporteront une première place dans leur catégorie à la Antigua Classic Yacht Regatta. Mais même les plus jolies histoires ont une fin. Dans la nuit du 28 au 29 juin 2014, alors qu'un coup de vent secoue le mouillage de Gustavia, la Sirène rompt ses amarres. Seule, elle sort du port, évitant on ne sait comment les nombreux voiliers mouillés sur son passage. Elle met le cap sur Gros Îlet, en évitant, encore une fois, les roches affleurant sur sa route. C'est là qu'elle s'est abimée, à 81 ans. Je ne sais pas si les bateaux ont une âme, mais s'ils pouvaient parler, ils auraient certainement beaucoup d'histoires à nous raconter.

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